C ontinuer à faire reculer le taux de chômage : voilà l'une des missions économiques principales que le gouvernement de Gabriel Attal s'est fixée, dans le sillage des engagements du président de la République. En première ligne dans cette bataille, Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, et Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, qui veulent faire du plein-emploi une réalité pour le pays en 2027. Un objectif que les observateurs ont pour habitude de dépeindre comme un taux de chômage égal à 5 %, soit un étiage que la France n'a plus connu depuis le quatrième trimestre 1978. Il s'affichait à 7,4 % au troisième trimestre 2023. « Cet objectif paraît très ambitieux », nous indique Gilbert Cette, professeur d'économie à Neoma Bu-siness School. Il faut dire qu'au moins trois phénomènes macroéconomiques compliqueront la tâche de l'exécutif ces prochaines années.
La réforme des retraites va doper la population active
D'une part, il y a la réforme des retraites adoptée l'an passé, consistant à reculer l'âge d'ouverture des droits de deux ans, au rythme d'un trimestre par an pour parvenir à 64 ans en 2030, ainsi qu'à allonger graduellement, d'ici à 2027, la durée de cotisation de 42 à 43 ans pour une retraite à taux plein. Marianne Fabre, Tom Olivia et Jean Rubin, économistes à l'Insee, rapportent que cela devrait générer une modification des comportements d'activité des femmes et des hommes de plus de 55 ans (en changeant l'horizon de fin de vie active). L'institut statistique avance que la progression de la population active va en être stimulée : ce sont environ 450 000 actifs supplémentaires qui participeront au marché du travail en 2027 par rapport à 2023 (30 000 personnes dans le précédent exercice de projection de l'Insee, qui ne tenait pas compte, notamment, de la réforme). Le taux d'activité des 60-64 ans devrait s'établir à 53,1 % en 2027, soit près de dix points de pourcentage de plus que ce qui était escompté initialement. La réforme des retraites constitue ainsi un choc d'offre pour le marché du travail qui rend la baisse du taux de chômage moins aisée, cette dernière supposant que les créations nettes d'emplois soient supérieures à la hausse de la population active. « Transitoirement, cela pourrait générer une hausse du taux de chômage », analyse Gilbert Cette.
La réforme des retraites et la faible croissance rendent la baisse du taux de chômage moins aisée.
Le marché du travail affecté par le ralentissement économique
D'autre part, tandis que la réforme des retraites influera sur la dynamique de la population active, un élément pourrait quant à lui jouer sur les créations d'emplois, ce qui là encore se ferait au détriment de la baisse du taux de chômage. Il s'agit de l'environnement de faible croissance au sein duquel nous devrions continuer d'évoluer au cours des trimestres à venir, à cause du resserrement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne. Les difficultés rencontrées par l'activité économique sont d'ailleurs l'un des arguments que la Banque de France met en avant pour justifier la hausse du taux de chômage à laquelle elle s'attend. Selon les équipes d'Olivier Garnier, directeur général des statistiques, des études et des relations internationales de la Banque centrale française, l'on comptera 7,6 chômeurs pour 100 actifs en 2024, puis 7,8 en 2025, avant de retomber à 7,6 en 2026.
Les gains de productivité devraient signer leur retour
En plus de ralentir, la croissance pourrait s'avérer moins riche en emplois qu'elle ne le fut au cours des dernières années. C'est l'autre raison qu'invoquent les économistes de l'institution dirigée par François Villeroy de Galhau pour expliquer l'accroissement du taux de chômage : le rétablissement partiel du niveau de la productivité du travail. Sous l'effet, entre autres, de la montée en puissance de l'apprentissage et de la baisse du coût réel du travail (les prix de vente ont crû plus vite que les salaires), le volume d'emplois a progressé plus rapidement que le Produit intérieur brut (PIB) depuis 2019. En conséquence de quoi, la perte de productivité par tête des salariés s'élevait à environ 8,5 % au deuxième trimestre 2023 par rapport à sa trajectoire pré-crise pandémique.
Un des autres facteurs se cachant derrière le repli de la productivité du travail a trait aux défaillances d'entreprises. Ayant bénéficié, à coups de centaines de milliards d'euros, du soutien de la puissance publique face à la crise pandémique puis au choc énergétique, les entreprises ont été beaucoup moins nombreuses qu'escompté à disparaître, maintenant en vie des emplois qui auraient dû cesser d'exister. « Les prêts garantis par l'État font partie de ces dispositifs qui ont aidé beaucoup d'entreprises, notamment les firmes dites “zombies”. Le temps étant venu de les rembourser, cela ne sera plus un facteur de soutien de l'emploi, au contraire, cela conduira à des destructions nettes de postes ainsi qu'en témoigne l'augmentation des défaillances », nous prévient Éric Heyer, directeur du département Analyse et Prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Les chercheurs de cet institut anticipent que le taux de chômage progressera de 0,7 point entre la mi-2023 et la fin 2024 (pour atteindre 7,9 %) et estiment qu'un peu plus de la moitié de cette hausse sera causé par le rebond des défaillances, ce qui en ferait le premier contributeur.